démarche

Mettre du soin dans les yeux de ceux qui regardent.

Réenchanter. Réparer ce qui a été séparé. Agir par la beauté et l’attention.

Créer des talismans.

Du dessin 1 comme port d’attache, tissant finement différentes techniques et jouant de compositions en filigrane, j’ai à coeur d’inviter à entrer dans des espaces de soin, ouvragés comme des des bijoux. A représenter cet espace de concentration, indicible, centre de toute création, partager ce cheminement profond et la magie du précieux qui ressurgit et affleure la surface. Ce chemin initiatique des contes et des mythes, qui induit l’idée de réconciliation.

L’ensemble de mon travail se déploie, éclectique2, comme une chambre d’échos, un conte à multiples facettes où j’opère à la manière d’une miniaturiste, par la finesse, l’attention aiguisée, l’intérêt pour le symbole et les multiples niveaux de lecture.

J’y raconte sous différents angles la perte de lien et de sens, et en même temps sa quête. Deux visions qui me constituent : celle de notre société moderne, réductionniste, cloisonnée et fragmentée, et celle du chercheur ou du créateur qui par sa concentration peut retrouver une profondeur et une cohérence. Ce premier regard, mécanisé et aride, nourri de quantité, de vitesse et de spectaculaires reflets, s’arrête à la surface du monde. Comme une terre mal irriguée, il sèche et se casse.

Cet état de minéralité avancée3 appelle à irriguer et redonner une profondeur.

Dans cette quête de réenchantement, je cherche à créer des images qui nous réparent, nous abreuvent. Je cherche des surfaces qui chantent. 

Pour relier les fragments, trouver les résonances4, on peut écouter ce qui vibre encore, ce qui brille dans le noir, nos trésors intérieurs.

Cette attention, présente dans le soin et la minutie, est un instrument de renversement du regard, qui permet d’introduire un point d’inflexion, une verticale dans l’horizon. Elle permet de décompacter et creuser dans la surface pour faire remonter ces trésors. Démarche archéologique, mais aussi alchimique où je distille et condense le plus précieux.

Et en cela, mon travail est une mise en abîme, puisque le geste de créer, de dessiner, est le sujet lui-même aussi. Je vois ce geste comme un acte sensible, poétique5, de quête du vivant, de ce qui vibre encore, remet en circulation, remet le coeur en mouvement6. Un acte de jardiner, fertiliser le plus subtil en nous, planter une image-graine pour qu’elle croisse en celui qui la regarde. Un acte de beauté aussi7. Un cheminement de pélerin pour se défaire d’un mauvais sort, un acte magique ou conjuratoire, qui ouvre le minéral, pour s’émerveiller du beau comme reconnaître notre infini.

Notes

1.Dessiner, c’est aller loin dans les pierres” (Yves Bonnefoy) Les dessins laissés sur les pierres des grottes abandonnées finissent toujours par les ouvrir”  (Roberto Juarroz)

2. Dans le sens premier du mot grec Eklegein, qui est d’investir dans plusieurs champs de réflexion et expériences différentes tout en gardant une cohérence.

3. « Auparavant, toute l’humanité était dans un dialogue avec la nature et dans un rapport équilibré mais en occident le rapport est devenu très minéral. Le rapport est devenu hyper dominant et la pensée très minérale. ». (Pierre Rabhi) / « Etrange de voir flotter dans l’espace ce qui jadis fut lié » (Rilke)

4.Redonner voix à ce monde, le refaire chanter.. » (« Résonance » Hartmut Rosa)

5. La poésie comme acte de lien, transversal. « Nous devons découvrir une autre forme de pensée pour éviter la catastrophe (…) Par la poésie peut s’opérer une unification de tout ce que l’homme est capable de créer, de donner, d’être. » (Einstein, cité par Roberto Juarroz dans « La vision qui crée ce qu’elle voit ») / « Sonder ce qui relie, traverse et et dépasse les niveaux de réalité. Intégrer le mystère comme donnée. Méditer le sens ontologique et écologique de la poétique. Eveiller les possibles. Ne jamais oublier que l’esprit constitue la force première de transformation du monde. » (« Renaissance sauvage »  Guillaume Logé)

6. A l’instar des dessins de sable et de poudre de différentes cultures, ponts graphiques entre arts, acoustique et biologie.

7. Beauté qui soigne, voie chez les indiens Navajos (« Variations sur la beauté », LSD, France Culture) / Beauté qui vient du vivant, nous relie à lui (Estelle Zhong Mengual). « Signe par lequel la création nous signifie que la vie a un sens » (François Cheng). « Sa disparition est le signe d’une atteinte au vivant » (Edouard Glissant) / Beauté « comme geste politique » (« Ce qui n’a pas de prix » Annie Lebrun)

COMPLÉMENT DÉMARCHE

Du scintillement de notre perception routinière

Minéralisé

 

Le regard stéréoscopique (stereo = solide) produit des fossiles réconfortants…

Clignotant , miroitant, il n’a pas le temps de voir l’épaisseur . Il aplatit pour mieux fragmenter encore.

La question est : Comment ramasser les morceaux ? Comment voir le my dans le stere, ce qui se meut dans le solide ?

 

Chercher l’ axe de profondeur

Mais la main compulsive, consommatrice (de culte de jeu) tatonne

tant que le regard, affalé, reste aussi solide que le solide

Tout paraît plat et gros d’ennui parce qu’on y bute

 

Alors s’approcher

introduire le vertical dans l’horizon

= marcher

 

la marche plutôt que la routine

celle du Petit Poucet dans son retour au foyer qui réunit les cailloux

dans sa trajectoire

l’ajustage, la réduction des marges, l’équilibre

la chaleur de la précision

 

= croiser

 

par l’exercice, la répétition du geste qui renouvelle

décapsuleur

par la percussion qui met en branle

par le travail qui dissoud, qui dit sous

qui fuse les deux en un par le troisième

par le massage la rotation

c’est ainsi que la perceuse perce et l’astre se stabilise

 

Raconter cette pensée du travail, de sa fonction dissolutrice

en mettant en scène, en contes, le jeu d’analogies :

dissolution-massage-concentration-solide-liquide-optique

en réalisant des « sabliers de vue » pour la mener profond

 

introduire dans chaque fragmenté un point d’inflexion

réchauffer des géométries tombées dans le plat

questionner leur axe manquant

chercher le sym du symbole

 

pour restaurer un centre évité

CITATIONS

– « Dessiner, c’est aller loin dans les pierres »

(Bonnefoy « Remarques sur le dessin »)

 

– « Les dessins laissés sur les pierres des grottes abandonnées finissent toujours par les ouvrir »

(Roberto Juarroz)

– « Les courbes viennent d’on ne sait où, en tout cas de plus loin que la cassure de la pierre »

(Roger Caillois)

–  » Etrange de voir flotter dans l’espace ce qui jadis fut lié »

(Rilke « Elégies »)

 

– « Tout semble être une totalité reliée et interdépendante dans l’infiniment petit.

Les caractéristiques du microcosme semblent disparaître au moment de l’observation.

Cela pourrait s’expliquer par l’influence de notre pensée qui, lors de l’observation, supprime la superposition des états et fait apparaître une réalité matérielle visible.

Finalement, le monde visible est un monde d’apparence mais non réel. »

(Claude Hespel, métaphysicien)

 

– « Au début un espace ouvert.

De ce déploiement est née l’aspiration à danser. Et au sein de la danse, la tendance à tourner sur soi-même. Nous avons trop tourné et sommes devenus trop actifs. Nous avons saisi l’espace comme partenaire et avons voulu qu’il s’accorde à notre tonalité.

Ainsi nous avons solidifié l’espace. Sous l’effet de l’intensité de la danse, l’esprit s’est évanoui et s’est réveillé dans un espace solide. »

(Gyétrul Jigmé Norbu Rimpoché « Les 5 skandhas »)

 

 

– « Montre trop d’os de chameau à un homme ou montre-lui en trop souvent et il ne reconnaîtra pas un chameau quand il en rencontrera un vivant. »

(proverbe soufi)

 

– « Le corps est une histoire, non une grammaire »

(René Daumal)

 

– « L’aveugle est le mieux placé pour faire de la géométrie »

(Descartes)

 

– « Plus on cherche à voir net, plus on s’éloigne de ce qui est à l’origine de ce qu’on voit »

(Leonard de Vinci)

 

– « L’être humain se perçoit lui-même, avec ses pensées et ses émotions, comme une entité séparée, une sorte d’illusion d’optique créée par sa conscience, et qui le maintient dans une sorte de prison, une prison qui le limite à ses propres désirs et qui fait qu’il n’accorde son affection qu’à ceux qui lui sont proches. La tâche de l’être humain est de se libérer de cette prison, en élargissant le cercle de ceux qui méritent son affection jusqu’à inclure le genre humain tout entier, ainsi que la nature tout entière, dans toute sa beauté. »

(Albert Einstein)

 

– « La pensée s’est adaptée à un monde confiné. Elle a ainsi une vision partielle de l’univers . »

– « Auparavant, toute l’humanité était dans un dialogue avec la nature et dans un rapport équilibré mais en occident le rapport est devenu très minéral.

Le rapport est devenu hyper dominant et la pensée très minérale. »

(Pierre Rabhi)

 

– « Qui a le sens de l’unité a le sens de la multiplicité des choses, de cette poussière d’aspects par lesquels il faut passer pour les réduire et les détruire. »

(Antonin Artaud “Héliogabale ou l’anarchiste couronné”)

 

– « Pour faire acte de réminiscence il faut se mettre en mouvement, remonter à l’origine. C’est pourquoi nous nous souvenons à partir de lieux communs. La cause en est que l’on passe rapidement d’un point à l’autre, par exemple du lait au blanc, du blanc à l’air. »

(Aristote)

 

– « Que la pyramide redevienne un puits qu’elle aura toujours été »

(Derrida)

 

– « Sculpte de nouveau ta forme ancienne »

(Iqbal)

 

– « Je n’ai plus qu’une préoccupation, me refaire »

(Artaud)

 

– « Soit un miroir oxydé. Celui qui voudra le remettre en état devra s’acquitter de deux besognes : frotter et polir, c’est-à-dire disposer le miroir face au vrai. »

(Ghazâh)

 

– « La répétition polit les cœurs »

(Bahauddin)

 

– « Le miracle arrive quand s’éveille ce qui dormait sous nos yeux »

(Christian Bobn « L’homme-joie »)

 

– « Comment l’homme peut-il apprendre ce qu’il sait déjà ? »

– « La méconnaissance , c’est une façon de manquer celui-là en croyant connaître ceux-ci »

– « le langage et la vision (…) n’expriment le sens qu’à la condition de le détourner, ne conduisent au but qu’en allongeant le chemin »

(Jankelevitch « Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien »)

 

– « Adam et Eve ont changé leurs yeux (…), ont condensé le réel entièrement dans la chair »

(Jean Clair « Eloges du visible »)

 

– « L’âme est un œil qui commence à voir, à être pénétrant, quand la vision des yeux perd son intensité . Alors apparaît la représentation de l’esprit. »

(Platon « Le Banquet »)

 

– « C’est lorsque la vue est empêchée de fonctionner que l’on a la sensation de la vue »

(Aristote « Le Traité de l’Âme »)

 

– « Il s’agit d’accueillir aussi bien la richesse ou capacité d’expansion que les qualités magnétiques, sans créer de frontières solides. »

– « On croyait avoir brisé la glace, puis on s’aperçoit d’un seul coup qu’il n’existe aucune glace à briser. »

– « Enlever les nuages au lieu de recréer le soleil. »

 

(Chögyam Trungpa « Mandala »)

HISTORIQUE

Dans le temps, ma démarche a pris un chemin qui va de la question de la création à celle de sa perception.

 Cosmogonie l’origine (la graine), le cycle, la fractalité, les structures en réseaux.

L’organisation des flux, les trames, la circulation des souffles.

 

 Morphogenèse: apparition et disparition d’une forme. Zone de contact, forme minimale. Lieu de l’enveloppe, de l’intervalle, de l’entre-deux. Lieu de transformation, de “réversibilité”. Voie médiane, fine lame.

Le fil et “ses inombrables façons de tomber à côté” (malentendus et illusions).

La limite entre la matière et ce qui la fait tourner.

 

 Phénoménologie: Illusion du solide, de la forme, de l’identité.

Perception minérale, fragmentaire, clignotante.

 

 

 Alchimie: voir l’unité dans la diversité. Vision réconciliatrice. Par la concentration.

MORPHOGENÈSE DE MON TRAVAIL

Texte sur la morphogenèse de mon travail réalisé lors du workshop avec Tom Arthur en 2004.

De la montagne la relative solidité.  Les parois dures, sèches et pourtant la poussée visible, sa trace. Mais toujours, elle est en train. Je pense aux pensées qui se figent, aux définitions, aux identités, aux cristaux, aux géométries. Tout paraît plat parce qu’on y bute.

Comme si nous étions trop volumineux. Comment entrer ? ou sortir ? sortir de ce qui apparaît ? Le regard ogre réclame plus de volume, de la quantité. Il est souvent grossier (de grosse densité), solide, trop pour voir le petit.  Alors il en fabrique, des petits, en découpant. 

 Je me rappelle de gros regards affalés, de ceux qui cherchent à être impressionnés, leur déni à l’égard de ceux qui parlent peu. Leur peur du silence. Le petit ne paraît pas assez, mais pourquoi devrait-il paraître plus ?

N’est-il pas déjà un point de passage qui permet de régler, de maîtriser, de concentrer, de faire devenir la quantité une qualité.

L’œil, le sablier, le détail.

 Les trésors au bout des longues brassées dans de grandes surfaces d’herbe et de sable.

Point d’orgue. L’écoute. La danse.

C’est en répétant le geste, en le répétant avec attention, qu’on n’ y pense plus, qu’on y est, et que quelque chose s’ouvre à l’évidence.  A force de jeu d’équilibre entre trop et pas assez, j’avais senti tout à coup la position, la tension juste, celle où je ne sentais plus de tensions déplacées, nulle part.  La ligne brisée devenait une étendue libre par un saut. 

 Sur une marche, une camarade de classe nous avait réunis pour nous donner une recette : je vais vous apprendre à faire un ballon. et elle n’avait qu’un bout de papier misérable. Beaucoup de pliages, d’attention, de petits gestes à plat. et soudain la magie d’un volume en soufflant par un petit trou laissé comme un oubli.

Soudain. Un saut. De beaucoup à un. Quand tout se tient de lui-même, quand tout va de soi.

Tout à point, tout à coup, ça brille. 

 Périodiquement je participais à l’astiquage des cuivres de la maison. Je n’utilisais pas le produit lustrant, c’était plus long mais c’était à la seule action de ma main que le métal brillait. Et j’étais fière car je pensais que c’était aussi ma volonté de brillance qui provoquait une accélération de l’effet.  J’aimais ce mouvement de dégagement pour un éclat lancé à la perpendiculaire. Polir et réduire, faire remonter le trésor. Frotter. Masser. Et faire émerger. Une surface carrée, en rêve,qui s’épaissit d’une fine couche blanche onctueuse. J’y pose la main et trace de grands cercles dans l’épaisseur qui diminue. Mes cercles semblent agir en même temps sur autre chose qui n’est pas là, que je ne vois pas, je sais que le phénomène aura lieu si je poursuis le massage, si je reste en tension. L’attention agit en diaphragme qui concentre et qui ouvre. Petit. Liquide.

Le mouvement de l’attention est sûr et répété, c’est celui d’une marche. Une action du rythme, polissant.

 Le son des graviers surgit du pouls nocturne, en avant-sommeil. Un marcheur dans le coussin ? nonon, mon cœur.

Mais quand même, une marche est lancée qui fait disparaître un monde et en appelle un autre où le premier est toujours présent.

 Dans le noir, mes yeux sont un œil qui voit de l’ultrachangeant. Des points apparaissent, une tâche bleue , floue, les éclipse . Elle se contorsionne très vite et devient nette et jaune, verte, bleue à nouveau, une nappe fluide qui tourne en volutes, coule à la fois vers le centre et partout, de l’eau de couleurs qui s’efface parfois et un grand éclair traverse le noir grouillant de piqûres lumineuses. C’est encore plus intense qu’après le soleil. Maintenant, si je change la profondeur de champ et si je regarde plus loin, les tâches se compliquent et deviennent des rêves. Et si à temps, je me « désaccomode » pour voir plus près, ce ne sont que des tâches,  je réalise physiquement l’illusion du rêve.  De la même manière, notre « réel », si réel, si solide, serait-il aussi un rêve ? Quelles en sont les tâches primordiales ?

Comment quitter une vision solidificatrice, plate, orpheline qui considère le monde à travers des glaçons ?

Le chant coule de l’affinage, à 90° de ce qui louche et tombe à faux.

Ces tâches chantent si je m’y concentre. La berceuse s’écoule du petit.

 La marche m’a bercée avant de voir le monde. Les efforts ont failli même m’y précipiter. Depuis et activée régulièrement par la poussée à gravir, elle est tendue dans mon écoute. Les cailloux se fondent dans la trajectoire. Les géométries reprennent vie, par cette « alteroptique », cet axe magique de l’attention qui, lorsqu’elle est sans attente, prend la forme d’un sablier ouvert, sans fond. De cette nouvelle vision plus de paradoxes , ils deviennent des évidences, plus de clichés, ils deviennent sérieux, plus de symboles abstraits mais des trajets à arpenter, plus de déjà-vu , mais un déjà-non-vu   

Les figures du petit sonnent le plus souvent comme des clichés pour les ogres « aplatomanes » , ou plutôt ne sonnent pas.

Ce texte par exemple peut ne pas sonner.

 

L’évidence n’éveille pas l’intérêt. Pourquoi ? Elle est un saut de l’un au même, et la répulsion des yeux horizontaux pour ce qui a déjà été. Elle fait mépriser les lieux communs. Ils sont pourtant des lieux communs, des moyens de rassembler les cailloux pour ne pas perdre le chemin.